Une Coupe du monde de rugby inspirante pour nos finances personnelles
Avec la coupe du monde de rugby qui débute sous peu, les maillots de bains laisseront la place aux maillots de rugby. Le ballon ovale nous offre l’occasion de nous pencher sur deux types d’influences dans nos prises de décisions : l’illusion des séries et l’effet de leurre. Explications avec notre expert en finance comportementale, Edouard Camblain, Responsable des Projets Stratégiques et du Développement chez Société Générale Private Banking.
Si l’essai est transformé, la série de points n’est pas pour autant assurée !
Soutenir le 15 national c’est évidemment, au-delà d’admirer la beauté du jeu, espérer qu’il remportera le trophée Webb Ellis fin octobre. D’ici au mois prochain, nous vibrerons donc à l’approche de la ligne des 22 mètres, nous exploserons de joie à la réalisation de l’essai … et nous retiendrons notre souffle lors des tirs aux pieds visant à transformer les essais ou à profiter d’une pénalité de l’équipe adverse.
Arrêtons-nous justement quelques instants sur ces tirs aux pieds, visant à faire passer le ballon entre les poteaux, au-dessus de la barre transversale. En effet, ces actions ressemblent aux lancers-francs du basket-ball (on vise alors le panier à une distance de 4,6 mètres pour bénéficier d’une pénalité de l’équipe adverse) qui ont donné lieu à une célèbre étude en 1985(1) . Dans cette dernière, les auteurs ont remis en cause le mythe de la « main chaude » (ou illusion des séries) selon laquelle un joueur de basket-ball réussissant son premier lancer-franc aurait davantage de chance de réussir le second. En effet si l’étude des lancers francs des équipes 76ers de Philadelphie et des Celtics de Boston a mis en évidence que lorsqu’un joueur réussit son premier lancer il réussit le second 75% du temps, elle a aussi montré que lorsqu’un tireur rate son premier lancer… il réussit aussi le second 75% du temps !
L’illusion des séries, qui correspond à l'intuition que des événements aléatoires se déroulant à la suite les uns des autres ne sont pas réellement aléatoires, est source d’erreurs. Ainsi, on sera vigilant à ne pas extrapoler les performances d’un actif ou d’une classe d’actifs au prétexte de la performance passée ! Cette tendance a été mise en lumière dans une étude de 2011(2) qui, en s’appuyant sur l’analyse des performances passées (1991-1996 et 1997-1999) démontre que les investisseurs individuels ont une grande propension à acheter de nouveau des titres leur ayant permis de réaliser une plus-value dans le passé, au détriment de ceux qui leur ont fait subir des pertes.
Prenez donc soin de ne pas tomber dans cette fausse perception de séries - même si on aimerait bien qu’un coup de pied transformé par notre buteur fétiche augure d’une série de futurs succès pour lui !
Une pause à la buvette : le match appétit-attractivité
Que vous soyez dans l’enceinte du stade (pour les plus chanceux !) ou dans un « village rugby » projetant les matches sur grand écran, sans doute serez-vous tentés par un petit tour à la buvette, afin de mêler plaisir gustatif et plaisir des yeux… La buvette et son choix de taille des tasses de café, des bouteilles de sodas ou encore des pots de pop-corn nous offre un très bel exemple d’effet de leurre (appelé aussi effet de domination asymétrique). En 1982, une étude(3) de chercheurs américains (proposant à 93 étudiants des expériences de choix de voitures, restaurants, bières, tombolas, films et télévisions) a pour la première fois mis clairement en évidence la capacité à influencer un choix par l’introduction d’un leurre.
Imaginez ainsi que votre équipe favorite mène à la mi-temps … mais au prix d’émotions si fortes qu’elles vous ouvrent l’appétit. Si vous vous voyez proposé deux tailles de pots de pop-corn (petit de 100 grammes à 4 euros et grand de 400 grammes à 10 euros), on sait que vous serez incité à choisir le plus grand des deux (l’objectif du vendeur) si l’on rajoute un leurre (8,5 euros pour la taille intermédiaire de 250 grammes) ! Indépendamment de votre faim, le prix du plus grand format semble attractif comparé à celui du pot moyen, alors que sans ce dernier (qui fait office de leurre), vous vous seriez probablement restreint à la taille la plus petite. De façon générale, l’introduction d’une troisième option (leurre), moins-disant que la cible, permet ainsi d’influencer le choix pour qu’un consommateur modifie ses préférences entre les deux options initiales (petit et grand).
Vous l’avez compris, l’effet de leurre est particulièrement présent dans la vie quotidienne et peut influencer le montant de nos dépenses. Plus fondamentalement, il a été démontré(4) que l’introduction d’un leurre peut également modifier certaines décisions de placements financiers par exemple sur les actions : le choix entre des actions avec dividendes et croissance plus ou moins élevés peut ainsi être exacerbé par l’introduction d’un leurre avec des taux de dividendes et rendements intermédiaires judicieusement choisis.
La façon d’éviter ce biais est de bien analyser ses préférences pour ne payer que pour ce que l’on souhaite – si l’on prend l’exemple de l’achat d’une voiture : le véhicule le plus beau et le plus rapide ne correspondra pas forcément à votre besoin.
Avec ces quelques enseignements, sans nul doute serez-vous un capitaine hors pair de vos finances !
(1) The hot hand in basketball: On the misperception of random sequences, T. Gilovich, R.Vallone, et A. Tversky, A. (1985)
(2) Once Burned, Twice Shy: How Naïve Learning, Counterfactuals, and Regret Affect the Repurchase of Stocks Previously Sold, M-A. Strahilevitz, T. Odean, et B-M. Barber (2011)
(3) Adding Asymmetrically Dominated Alternatives: Violations of Regularity and the Similarity Hypothesis, J. Huber, J-W. Payne, C. Puto (1982)
(4) The Deco The Decoy Effect and investors' stock preferences, B. Paris (2012)