Transmission / Donation d’œuvres d’art
Le contenu de cet article est destiné à des clients de nationalité et de résidence fiscale française.
Quelles sont les options pour transmettre ou faire une donation d’œuvre d’art ? Quel peut-être leur statut juridique dans ce cadre ? Quelles sont les questions à se poser et les éléments à prendre en compte ? Laurent Issaurat, Responsable du Service Art Banking de notre Banque Privée a interrogé Marceau Clermon, notaire associé chez Fidnot.
Laurent Issaurat : Vous rencontrez de nombreux collectionneurs ou propriétaires d'œuvres d'art. La détention d’œuvres peut être, dans certaines situations, bien documentée, mais ce n'est pas toujours le cas. Quels sont vos conseils en la matière ?
Marceau Clermon : De nombreux propriétaires d’objets de collection estiment être protégés par la simple possession qui, juridiquement, « vaut titre ». La pratique est pourtant bien plus complexe. Paradoxalement, si la documentation afférente à l’authenticité de l’œuvre fait partie intégrante de sa valorisation, la preuve de sa propriété est souvent inexistante. Aucune déclaration dans les successions, aucune donation ou aucun partage n’établit un titre(1). Certains ayant droits peuvent revendiquer la propriété des œuvres par exemple dans le cadre d’actions en revendication et ce d’autant plus facilement que le possesseur ne dispose pas d’une documentation probante. Notre conseil, par conséquent, à tout le moins est d’obtenir des attestions contradictoires de propriété entre ayants droits, des constats d’huissiers ou d’en faire déclaration dans des actes enregistrés.
Laurent Issaurat : Les œuvres d'art constituent elles des meubles comme les autres ?
Marceau Clermon : Attention ! Bien que cela puisse paraître « contre-intuitif » à certains égards, les œuvres d’art et objets de collection ne constituent pas toujours des « meubles ». Certaines œuvres font partie intégrante des immeubles auxquels elles sont attachées. C’est le cas, notamment, des sculptures scellées ou de certaines mosaïques, comme par exemple celles d’INVADER, qui ornent les murs de nombreuses capitales. S’agissant des « meubles meublants » garnissant les habitations comme définis par le Code civil, les catégories se chevauchent. Toutes les œuvres d’art ne sont pas « meubles meublants » et, inversement, tous les meubles ne sont pas des œuvres. L’article 534 du Code civil exclut expressément de la catégorie des meubles meublants « les collections de tableaux qui peuvent être dans des galeries ou pièces particulières ». A cette réserve près, les œuvres peuvent intégrer juridiquement la catégorie des meubles meublants, et ce, quelle que soit leur valeur. Ces chevauchements sont à l’origine de la création de droits concurrents. A titre d’illustration, le conjoint survivant dans une succession a très souvent des droits d’usage sur ces meubles particuliers que sont les œuvres d’art, quand il n’a pas également des droits en usufruit ou en propriété. Les aliénations de ce bien requièrent par conséquent son accord.
Laurent Issaurat : Comment transmettre des actifs artistiques à ses enfants ou ses petits enfants ? Est-il possible de démembrer juridiquement une œuvre d'art, en distinguant par exemple la nue-propriété du droit d'usage ?
Marceau Clermon : La stratégie est bonne. Il est possible de faire une donation en propriété ou en nue-propriété à ses descendants dans les conditions juridiques et fiscales habituelles. Cela crée un titre de propriété incontestable qui permettra aussi, en cas de cession ultérieure, d’invoquer l’éventuelle exonération de plus-value pour durée de détention. Nous pratiquons actuellement beaucoup de donations-partages dites « trans-générationnelles-réincorporatives ». Il s’agit, lorsqu’une donation enregistrée a été effectuée depuis plus de quinze ans, de « faire glisser » les œuvres sous la médiation du donateur initial des enfants vers les petits-enfants. Le coût fiscal est alors réduit au droit de partage de 2,5%.
Laurent Issaurat : Quels sont les avantages de la donation-partage, par opposition au don manuel ou au présent d'usage, qui peuvent paraître des moyens commodes de transmettre des œuvres ?
Marceau Clermon : Le présent d’usage(2) a souvent le défaut d’une traçabilité médiocre au plan juridique et fiscal. En cas de contestation, pas de preuve…pas de droit. On le constate dans de nombreux contentieux familiaux : la simple possession ne peut alors être retenue pour démontrer la propriété. Quant au don manuel(3), il est généralement simplement constaté fiscalement. Il ne prouve pas à lui seul la réalité de la donation en ce qu’il émane seulement de celui qui le reçoit. Il est alors recommandé d’avoir du donateur des attestations justifiant du fait qu’il s’agit d’une réelle donation et non d’un prêt ! Les contentieux existent également en la matière. L’acte notarié a plus qu’ailleurs de la pertinence : il explicite l’intention libérale et établit une description précise de l’objet. La donation-partage offre en plus, lorsqu’il y a plusieurs héritiers, la sécurité d’éviter des rééquilibrages économiques au décès de celui qui a donné. Compte tenu de la forte volatilité des valorisations des œuvres, cette précaution n’est pas superflue.
Laurent Issaurat : La mise en société d'œuvres d'art est-elle également envisageable ?
Marceau Clermon : Auparavant la contrainte était fiscale. Les œuvres détenues en directe étaient exonérées d’ISF (Impôt sur la Fortune) tandis que les parts de sociétés détenant des œuvres ne l’étaient pas. La mise en société d’œuvres ouvre de nouvelles perspectives en matière de détention ou de transmission d’actifs pour les collectionneurs. Ceci vaut aussi pour les artistes de leur vivant, qui peuvent mettre leurs œuvres en société afin d’organiser leur succession, voire, dans certains cas, de bénéficier de la loi Dutreil, très favorable aux transmissions d’entreprises. Aujourd’hui certains collectionneurs mettent en œuvre des structurations plus ou moins sophistiquées. Ils couplent cela avec une fiducie-gestion afin de « sanctuariser » une collection. Nous arrivons grâce à cela à une sécurité quasi-identique à celle des trusts anglo-saxons utilisées par de grands collectionneurs internationaux, à la grande réserve près que la « fiducie-transmission » n’est pas admise en droit français, ce qui constitue évidemment une différence - et une contrainte - majeure.
Laurent Issaurat : Quelles valorisations retenir lors d'une succession ?
Marceau Clermon : C’est la valeur de marché des actifs qui doit être retenue. Celle-ci peut être établie par divers moyens, tels que les prix constatés dans une vente aux enchères dans les deux ans du décès, les estimations faites par un commissaire-priseur dans le cadre d’inventaires notariés ou encore, les valeurs individuelles retenues pour des objets dans des contrats d’assurance. Pour autant, les œuvres peuvent être des meubles meublants. Néanmoins, cette option du forfait mobilier ne doit pas prêter à confusion : il ne constitue pas un outil d’optimisation. En effet, la lettre du Code général des impôts prévoit la possibilité de « la preuve contraire », qui peut être apportée par l’administration fiscale. En d’autres termes, s’il est possible de dire qu’un tableau de maître fait juridiquement partie du mobilier d’une habitation, fiscalement, l’utilisation du forfait mobilier alors que la valeur des actifs mobiliers serait supérieure à 5% de la valeur successorale globale doit être proscrite.
Vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet ? Votre Banquier Privé se tient à votre disposition pour analyser votre situation et vous proposer un accompagnement sur-mesure.
(1) Mais celle-ci peut constituer un commencement de preuve, une présomption de la régularité de la possession.
(2) Le présent d'usage répond à un usage social ou familial qui justifie qu’un cadeau soit offert à l'occasion d'un événement : mariage, naissance, baptêmes et premiers sacrements religieux, fête ou anniversaire du donataire, anniversaire de mariage ou retrouvailles familiales régulières, Noël, réussite à un examen ou à un concours. Sa valeur doit être raisonnable, c’est-à-dire proportionnée à l’état de la fortune du donateur. Du fait de sa modicité, il n'est pas imposable.
(3) Le don manuel est une donation entre vifs de la main à la main ayant pour objet un bien meuble corporel. La déclaration du don manuel à l’administration est obligatoire.
Les informations communiquées sur cette page le sont à titre purement informatif et n’ont pas de valeur contractuelle. Le contenu de cette page n’est pas destiné à fournir un conseil en investissement ni un quelconque autre service en investissement et ne constitue de la part de Société Générale Private Banking ni une offre, ni une recommandation personnalisée, ni un conseil en vue de l’achat ou de la souscription ou de la vente de services d’investissement ou de produits financiers.
Les informations contenues sur cette page ne constituent pas un conseil juridique, fiscal ou comptable. Les informations qui y sont contenues sont données à titre indicatif et visent à mettre à la disposition du lecteur les informations pouvant être utiles à sa prise de décision. Elles ne constituent en aucune manière des recommandations personnalisées. Le lecteur ne saurait en tirer ni une recommandation d’investissement, ni un conseil juridique, comptable ou fiscal. L’ensemble des stratégies patrimoniales envisagées nécessitera avant toute mise en œuvre la validation de vos conseils juridiques et fiscaux habituels.
Cet article est élaboré à partir de sources que Société Générale Private Banking considère comme étant fiables et exactes au moment de sa réalisation. Toutes les informations contenues dans ce document peuvent être modifiées sans préavis. Aucune entité Société Générale Private Banking ne peut en aucun cas être tenue responsable pour toute décision prise par un investisseur sur la base de ces informations.
Le contenu de cette page ne peut être reproduit totalement ou partiellement, sans accord préalable et écrit de Société Générale Prive Banking. Ce document n’est en aucune manière destiné à être diffusé aux Etats Unis, ni à un résident américain.
Avant toute souscription d'un service d’investissement ou d'un produit financier, l’investisseur potentiel doit prendre connaissance de l’ensemble des informations contenues dans la documentation détaillée du service ou produit envisagé (prospectus, règlement, document intitulé « informations clés pour l’investisseur », Term sheet, conditions contractuelles du service d'investissement), en particulier celles liées aux risques associés à ce service ou produit.