Sylvie Chokron: Donner fait du bien, c’est scientifiquement prouvé!
Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs décortiquent le mécanisme de l’altruisme. Sylvie Chokron, neuropsychologue et directrice de recherche au CNRS1, nous explique pourquoi l’être humain est empathique et les effets bénéfiques de la générosité sur notre cerveau.
L’empathie a-t-elle toujours existé chez l’homme ?
Au cours de l’évolution, la capacité à s’entraider a permis à l’homme de survivre. Seules la coopération et l’entraide permettent par exemple de construire des habitations en milieu inhospitalier ou encore de chasser des proies de grosse taille. Ces comportements prosociaux2 présentent pour l’espèce humaine un intérêt réel et concret, qui a permis de perpétuer la caractéristique empathique. Or la science démontre que, chaque fois qu’un comportement se perpétue, c’est parce qu’il est associé au plaisir dans notre cerveau, comme pour l’alimentation ou la reproduction !
Quel mécanisme l’acte altruiste déclenche-t-il dans le cerveau ?
Donner de l’argent, du temps ou encore aider autrui libère de la dopamine dans le cerveau, de la même façon que lorsque quelque chose nous fait plaisir : rire, écouter de la musique, manger du chocolat… On parle du « circuit de la récompense », qui s’active systématiquement, quels que soient la nature ou le coût du don. Ce circuit s’active encore plus lorsqu’on donne que lorsqu’on reçoit. Les êtres humains sont donc programmés pour éprouver davantage de plaisir en donnant qu’en recevant.
En dehors de la dopamine, être généreux produit-il des effets à plus long terme sur le corps ?
La science est maintenant capable de prouver que faire du bien nous fait du bien. Sur le plan physiologique, l’altruisme agit sur le système cardio-vasculaire, la longévité et le système immunitaire.
Les effets sont également bénéfiques au niveau cognitif, avec un impact sur l’attention, le raisonnement, la capacité à résoudre des problèmes ou encore la créativité et la mémoire. Enfin, d’un point de vue psychologique, l’altruisme entraîne une amélioration de l’humeur et des sentiments positifs. On constate ainsi une réduction des comportements à risque et des tendances suicidaires chez les adolescents engagés dans des actions altruistes.
Comment l’altruisme évolue-t-il avec l’âge ?
Les bébés préfèrent, dès 3 mois, regarder des personnages qui s’aident plutôt que des personnages qui se chamaillent. Très tôt, il existe un comportement naturel d’aide chez les bébés, sans aucune attente de récompense. Ainsi, à 20 mois, un enfant s’arrêtera même d’aider quelqu’un s’il reçoit une récompense, déconcerté par le fait que sa générosité spontanée mérite un cadeau ! Chez les jeunes enfants, l’aide est donc tout à fait naturelle, spontanée et purement altruiste. La récompense de l’enfant est finalement sans doute constituée par la simple activation du « circuit de la récompense » dans son cerveau à la suite de sa bonne action et le regard valorisant, très positif, qu’il perçoit des adultes.
En grandissant, ce comportement naturel a malheureusement tendance à se perdre. Entre 2 et 6 ans, l’enfant imite les comportements d’aide au sein de la famille, en s’identifiant particulièrement aux parents du même sexe, puis vers 9 ans ce comportement d’aide décline pour être au plus bas entre 13 et 15 ans avant d’être à nouveau dynamisé chez les jeunes adultes. Néanmoins, si la plupart des bébés sont naturellement altruistes, tous les adultes ne le seront pas…
L’altruisme agit sur le système cardio-vasculaire, la longévité et le système immunitaire.
Peut-on agir sur cette tendance naturelle à l’altruisme pour qu’elle perdure dans le temps ?
Entretenir et développer cette tendance naturelle de gratitude et de générosité chez l’enfant, à l’école, à l’université ou en entreprise est un enjeu crucial. Comment inscrire chez l’homme un comportement altruiste dans le temps ? Cela peut passer par le fait de valoriser l’enfant sans récompense matérielle, de rappeler l’importance du modèle parental sur cette dimension, de faire réfléchir au regard des autres, qui peut inhiber le comportement altruiste, notamment à l’adolescence. En Amérique du Nord comme en Europe, des chercheurs ont développé des programmes d’éducation à l’altruisme dans des établissements scolaires. Grâce à des jeux de rôle et de mise en situation, ils ont démontré qu’il était possible d’augmenter les comportements altruistes. En France, l’École de la philanthropie pilote actuellement des programmes de sensibilisation à la philanthropie dans des classes de CE2 et CM1, de tous milieux.
Les écoliers doivent choisir une cause et aider une association de leur choix durant un an. En tant que chercheuse, j’étudie ce qu’il se passe avant et après cette action philanthropique en termes d’estime de soi et de processus cognitifs.
Les résultats devraient permettre, je l’espère, de démontrer qu’éduquer à la philanthropie permet également de développer, au-delà de certains comportements prosociaux, d’autres capacités chez les enfants : le mieux-être, le langage, la mémoire et une meilleure capacité cognitive.
Quels sont les nouveaux champs de la recherche sur les comportements prosociaux ?
Les études actuelles explorent désormais de plus près le lien entre altruisme et cognition avec une question centrale : développer l’altruisme pourrait-il développer les processus cognitifs ? Les perspectives sont très enthousiasmantes et pourraient offrir, par exemple, des solutions pour des enfants en difficulté d’apprentissage.
Par Croisine Martin-Roland, responsable de l’accompagnement philanthropique, Société Générale Private Banking France.
1. CNRS : Centre national de la recherche scientifique.
2. Les comportements prosociaux sont des actes volontaires, dirigés vers autrui dans le but de lui apporter un bénéfice ou d’améliorer son bien-être, comme le partage, l’entraide, le réconfort…