Richard Tipper, un optimiste réaliste
Depuis qu’il a décidé de consacrer sa vie à la lutte contre le changement climatique, Richard Tipper n’a pas perdu de temps. Actuellement cofondateur et président d’Ecometrica, une entreprise de solutions de surveillance de l’environnement, il a travaillé auparavant comme conseiller scientifique et politique sur les questions de changement climatique pour de grandes entreprises, des organisations internationales et des gouvernements. Il est l’instigateur de l’un des programmes communautaires de capture du carbone les plus réussis et l’auteur principal de deux rapports pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2007. Un parcours impressionnant! Pour autant, Richard Tipper ne se décrit pas comme un environnementaliste. « C’est plus mon intérêt personnel pour les voyages dans des endroits exotiques, inspiré de mes lectures d’enfance, qui m’a attiré vers les sujets environnementaux, dit-il. Dans les années 1980, on s’intéressait beaucoup à la production alimentaire et à la manière dont les pays en développement allaient se nourrir. Je voulais en savoir plus et j’ai donc décidé d’étudier les sciences agricoles à l’université d’Édimbourg. J’étais plus préoccupé par le côté humain que par l’aspect environnemental de ces enjeux. »
Le Chiapas, au Mexique : la genèse
Sa première expérience professionnelle – conseiller auprès d’organisations d’agriculteurs au Chiapas, au Mexique – a certainement changé le cours de sa carrière. Expatrié dans un lieu foisonnant tant au niveau culturel qu’au niveau écologique, Richard Tipper a pu travailler directement pour les agriculteurs et non via un projet gouvernemental. « J’ai rejoint une coopérative locale pour contribuer à améliorer les procédés de fabrication du café, se souvient-il. Mais le projet n’a pas eu le succès escompté en raison de problèmes économiques et organisationnels. Cela m’a convaincu de mener des recherches plus approfondies sur l’économie des agriculteurs mayas contemporains et de préparer un doctorat. Plus important encore, cette expérience a renforcé ma détermination à rester en contact avec cette région fascinante et à voir comment je pourrais améliorer les moyens de subsistance ruraux et les perspectives des populations locales, tout en prenant soin de l’environnement. »
Soutenir les communautés sensibles au climat
l’origine des premiers crédits carbone au monde. C’est aujourd’hui l’un des programmes communautaires de capture du carbone les plus aboutis et les plus pérennes au monde, basé sur la reforestation et les forêts durables. « Les projets forestiers de capture du carbone financés par le gouvernement se sont révélés inefficaces, souligne Richard Tipper. Notre objectif était d’offrir des moyens de subsistance durables aux communautés dont l’environnement était dégradé, sous la forme de bénéfices carbone pour financer leurs opérations d’amélioration de la gestion des terres.
Nous avons réussi, d’une part parce que nos projets ne sont pas imposés par le gouvernement, d’autre part parce que nous avons su structurer la relation entre l’intérêt des acteurs désireux de financer la séquestration du carbone et le besoin des populations de planifier l’utilisation de leurs terres. » Toujours actif, le Plan Vivo a, à ce jour, capturé 3,5 millions de tonnes de CO2 de l’atmosphère, au profit de 16 000 petits exploitants.
“Comme pour les crises sanitaires, les dommages environnementaux s’accumulent sur certains groupes de la société– généralement les plus défavorisés. Empêcher la société de se fragmenter est un véritable défi.”
Mesurer les impacts du changement climatique
Ce formidable succès n’a pas empêché Richard Tipper de poursuivre ses actions innovantes pour enrayer l’urgence climatique. Selon lui, l’un des meilleurs leviers pour aider les gouvernements et les entreprises à s’attaquer plus efficacement aux enjeux du changement climatique, c’est de leur fournir des solutions de pilotage. Après avoir travaillé pour The Edinburgh Centre for Carbon Management sur la comptabilisation du carbone, il a décidé de créer sa propre entreprise, Ecometrica, en 2008, afin de développer des méthodes de mesure et d’analyse des indicateurs environnementaux plus efficaces et à plus grande échelle. Née à Édimbourg, Ecometrica aide les gouvernements et les entreprises à cartographier et à suivre l’impact de leur activité sur l’environnement via des données provenant de satellites et de drones. « Notre rôle n’est pas d’expliquer à nos clients comment améliorer leur empreinte, explique Richard Tipper. Nous aidons les organisations à mettre en place des moyens systématiques de suivi et de comptabilité, afin de fournir une colonne vertébrale de l’état actuel et de la projection de leur impact sur les actifs naturels. C’est comme un système de comptabilité financière. » Et ça marche ! Qu’il s’agisse de définir des règles de déplacements professionnels, d’opter pour des carburants alternatifs ou d’inciter les cadres supérieurs à atteindre leurs objectifs environnementaux, une multitude d’entreprises s’appuient sur les solutions d’Ecometrica pour adopter des actions concrètes destinées à améliorer leur empreinte carbone.
Rester optimiste
Ce qui distingue vraiment Richard Tipper de l’écologiste alarmiste typique, c’est son espoir dans l’avenir. Il est, en effet, convaincu que la société sera capable de s’adapter au changement climatique. Selon lui, la gestion de l’environnement s’est améliorée au cours de la dernière décennie et les choses vont dans la bonne direction. Même s’il est conscient que tout peut changer. Il l’a constaté lors de la dernière crise financière, en 2008, celle-ci ayant stoppé l’intérêt jusqu’alors croissant pour les enjeux environnementaux. Et, avec la crise sanitaire actuelle, de nombreuses entreprises se concentrent sur leur survie plutôt que sur leurs initiatives écologiques. La COP 26 a été retardée d’un an. Selon lui, ce qui est intéressant, cette fois-ci, c’est que les gouvernements semblent avoir recours au financement vert et à des plans de relance verte pour orchestrer la reprise. « Je reconnais pleinement le rôle important que les gouvernements doivent jouer, explique-t-il. Les gens sont frustrés par la lenteur de la mise en place de réglementations, mais ils doivent comprendre que les gouvernements ont beaucoup de priorités et qu’ils doivent consulter, examiner et mettre en place la législation adéquate. Je pense que la solution réside dans une combinaison de réglementations des secteurs privé et public. »
Si Richard Tipper est optimiste quant à la capacité de la société à s’adapter sur le plan environnemental, il considère le changement climatique comme une menace majeure pour notre démocratie, nos modèles de gouvernement et nos valeurs. « Comme pour les crises sanitaires, les dommages environnementaux s’accumulent sur certains groupes de la société – généralement les plus défavorisés. Il sera difficile d’empêcher la société de se fragmenter en différents groupes et intérêts et de maintenir une action unifiée. C’est, d’après moi, le véritable défi. »
Aller plus loin
Lorsqu’on lui demande s’il rêve d’un « monde meilleur », dans lequel les ressources sont parfaitement gérées, il répond : « L’espoir est mon horizon. » Il pense que l’on peut aller très loin, avec beaucoup de travail et de patience. Confiant dans l’avenir, il compte sur la jeune génération, qu’il juge intelligente et bienveillante.
Et ne vous attendez pas à ce que Richard Tipper passe la prochaine décennie « uniquement » en tant que président d’Ecometrica : depuis le confinement, il travaille sur un nouveau projet baptisé Resilience Constellation. L’objectif ? Créer un fonds d’investissement pour aider les entreprises et les gouvernements à financer les données dont ils ont besoin pour s’adapter au changement climatique et rendre leurs systèmes plus résilients. « Souvent, le manque de financement freine la mise en œuvre d’actions ou le développement de systèmes de monitoring, précise-t-il. Si nous fournissons les fonds nécessaires, c’est un obstacle en moins dans l’équation ! »