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Réclamations

Quel avenir énergétique pour l’Afrique ?

Contributeurs

Myriam Fournier Kacimin

Fondatrice et présidente-directrice générale de Sungy

Vincent Kientz

Fondateur directeur associé
d’Enea Consulting

Arnaud Rouget

Africa Program manager
à l’Agence internationale de l’énergie (AIE)

En 2022, en Afrique subsaharienne, près de 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité. Malgré les progrès réalisés en termes d’électrification, l’atteinte du septième objectif de développement durable de l’ONU reste difficile1« Avec la crise du Covid, le nombre de personnes sans accès à l’électricité a augmenté de 4 % alors qu’il diminuait régulièrement depuis 2013 », précise Arnaud Rouget, Africa Program manager à l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

En outre, une question majeure se pose au quotidien, celle de l’accès à des modes de cuisson propres. « C’est très urgent car près de 80 % des foyers africains n’en bénéficient pas et utilisent du bois collecté en forêt ou du charbon de bois », rappelle Harriet Okwi, responsable de l’accès à l’énergie chez Enea Consulting. Cet usage traditionnel de la biomasse entraîne une pollution de l’air intérieur à l’origine de 500 000 décès prématurés par an, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et contribue à la dégradation de l’environnement.
Il faut également compter avec l’équation démographique : selon l’ONU, la population de la région subsaharienne va quasiment doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,1 milliards et elle sera concentrée à 60 % dans les villes. Cette forte croissance démographique et la transformation économique du continent vont entraîner une hausse considérable de la demande d’énergie, qui va croître deux fois plus vite que la moyenne mondiale d’ici à 2040, selon l’AIE.

Le développement économique entravé

À l’heure du réchauffement climatique, on mesure ainsi à quel point la réponse aux besoins énergétiques de l’Afrique sera déterminante pour sa prospérité mais aussi pour la durabilité du système énergétique mondial. « Il est impératif de favoriser l’émergence de nouvelles capacités de production énergétique pour permettre le développement, qui reste le sujet numéro un dans des pays africains qui ont peu contribué aux émissions de gaz à effet de serre mais qui seront les premières victimes des effets du changement climatique », observe Vincent Kientz, associé d’Enea Consulting.
Il faut en effet « remettre les choses en perspective », souligne Damilola Ogunbiyi, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour l’énergie durable pour tous, qui rappelle que la capacité installée de production d’électricité de l’Afrique subsaharienne, si l’on exclut l’Afrique du Sud, n’est que de 81 gigawatts (130 avec l’Afrique du Sud), soit celle de l’Allemagne, pour plus d’un milliard de personnes !2

Le manque d’accès à des services énergétiques modernes, notamment électriques, mais aussi leur peu de fiabilité quand ils existent, entravent le développement économique du continent et son ambition d’industrialisation. Comme le souligne Hugo Le Picard, chercheur au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI), la faiblesse des réseaux électriques subsahariens a un effet négatif considérable sur les économies, représentant en moyenne selon les pays un coût allant de 1 à 5 % du PIB national.
« Environ 80 % des entreprises africaines subissent des coupures fréquentes et pointent la mauvaise qualité d’un service qu’elles paient cher », précise Myriam Fournier Kacimi, présidente fondatrice de Sungy3, une entreprise engagée dans le développement du solaire photovoltaïque en Afrique. À cela, Thomas Chevillotte, responsable Afrique d’Enea Consulting, ajoute les difficultés des réseaux de transport et de distribution : la vétusté, le sous-investissement dans la maintenance, les pertes techniques, les vols dus aux raccordements sauvages.

Accélérer les investissements

Cela étant, de réels progrès ont été enregistrés en termes d’accès à l’électricité, dans des pays comme le Kenya, le Rwanda, l’Éthiopie, le Ghana, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. L’Afrique de l’Ouest est ainsi passée d’un taux d’électrification de 34 % en 2000 à 53 % en 2019. À l’instar d’autres régions d’Afrique, elle se mobilise pour réaliser un marché régional de l’électricité avec le West African Power Pool (WAPP). Neuf interconnexions transfrontalières ont été réalisées et l’objectif est d’interconnecter les 14 pays de la région d’ici à 2024. Cette intégration régionale est déterminante pour élargir les marchés énergétiques, garantir des économies d’échelle et une rentabilité des investissements dans ce secteur. Et, comme l’espère Ousmane Diagana, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale, « la mise en commun de diverses ressources vertes, par exemple l’hydroélectricité en Guinée ou au Libéria ou encore le solaire au Sahel, débouchera sur un système plus résilient »4.

 Il faut favoriser l’émergence de nouvelles capacités de production énergétique.
Vincent Kientz

Dans son nouveau rapport sur les perspectives énergétiques de l’Afrique5, l’AIE estime que réaliser d’ici à 2030 l’accès universel tant à l’électricité qu’à la cuisson propre est une voie possible même si elle n’est pas acquise. En effet, pour réaliser ce scénario, les investissements dans les énergies propres doivent être multipliés par cinq d’ici à 2030 par rapport à leurs niveaux actuels. Irréalisable ? Cette croissance représente moins de 5 % des investissements dans les énergies propres nécessaires au niveau mondial dans le cadre du scénario « zéro émission », selon l’AIE. « Nous devons accélérer le rythme, plaide Damilola Ogunbiyi, c’est pourquoi nous avons besoin de l’argent de la philanthropie, des institutions de développement, des institutions financières, des gouvernements, tous se réunissant pour chercher des solutions créatives qui garantiront que personne ne sera laissé pour compte en matière d’accès à l’énergie. »

3 questions à Georges Wega

Directeur délégué réseaux bancaires internationaux de Société Générale,
région Afrique, bassin méditerranéen et Outre-mer

Comment s’explique le déficit d’accès à l’énergie en Afrique subsaharienne ?

En dépit d’évolutions positives ces dernières années, l’accès à l’énergie est freiné par l’insuffisance d’infrastructures de production énergétique ainsi que par une performance limitée des réseaux de transport et de distribution existants. L’obsolescence de certains de ces réseaux ne permet pas d’offrir un service de qualité pour répondre à la demande locale. Les capacités limitées de production des systèmes électriques nationaux augmentent le coût de production de l’électricité qui, dans certains pays, est deux à trois fois plus élevé que la moyenne mondiale. Il est impératif pour les États de développer des solutions peu coûteuses, adaptées aux revenus de leurs populations. S’ajoutent ensuite l’insuffisance de financements privés et le manque d’appuis budgétaires dans le secteur pour soutenir des investissements parfois colossaux. Certains gouvernements ne sont pas suffisamment outillés pour mener à bien les appels d’offres complexes nécessaires pour ce type d’investissements. Enfin, plusieurs pays ont un cadre réglementaire et juridique insatisfaisant aux yeux des investisseurs, ce qui ne favorise pas la concurrence et limite le recours aux acteurs privés avec pour conséquence une offre peu diversifiée de fourniture d’énergie et un monopole des compagnies publiques.

Quels sont les principaux défis à relever en termes de financement et d’investissement pour favoriser le développement énergétique du continent ?

Les États doivent développer leurs capacités à attirer les investisseurs privés : la diversification des sources de financement permettra de réduire les coûts sur l’ensemble de la chaîne. Ils doivent établir des politiques énergétiques claires, structurer le secteur et définir des cadres réglementaires et juridiques normalisés, en reconnaissant le rôle du secteur privé notamment. Nous notons déjà plusieurs bons exemples avec certains États qui se sont dotés de lois sur les partenariats public-privé. En outre, il est important dans la structuration des dossiers d’investissement d’établir de bons mécanismes de financement et de proposer des systèmes de tarification innovants qui vont réduire les coûts pour les consommateurs et atténuer les risques financiers portés par les investisseurs.

Quelles solutions de financement innovantes faut-il privilégier et quelles sont les initiatives de Société Générale ?

Le sujet des financements innovants dans ce domaine est l’un des quatre piliers de l’initiative « Grow with Africa », que nous avons lancée en 2018. Il faut privilégier des solutions de financement multi-sources et multi-devises, offrant des maturités longues, pour des projets à fort impact énergétique et qui intègrent les contraintes environnementales. Ces solutions permettront notamment de compenser le coût élevé des investissements associés à la mise en place de technologies d’énergie renouvelable et de contenir les contraintes d’endettement des États. Le point clé pour ce type de financement est de réunir les bons partenaires : des acteurs financiers locaux et/ou régionaux, des institutions financières internationales ou des institutions de financement du développement. Société Générale a créé à Abidjan, Casablanca et Alger des plateformes dédiées aux financements structurés, qui financent, entre autres, de grands projets innovants dans le secteur de l’énergie, comme les projets de production, d’exploitation et d’entretien de centrales photovoltaïques à Madagascar (GreenYellow) ou au Sénégal (Total Eren), ou encore le projet Biovéa en Côte d’Ivoire, consacré à la création d’une centrale thermique biomasse (résidus de palmiers). Société Générale finance également, en Côte d’Ivoire par exemple, la commercialisation à moindre coût de kits individuels solaires photovoltaïques à usage domestique pour accompagner l’inclusion énergétique grâce à des sources de production renouvelables.

Le potentiel des énergies renouvelables

Grâce à son énorme potentiel en énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique) et aux progrès technologiques, l’Afrique pourrait suivre un modèle de développement bas carbone, en considérant les opportunités au cas par cas en raison de la diversité de ses 54 pays. Des signaux positifs se font jour. « L’engagement de l’Afrique du Sud à conduire une transition juste vers une économie décarbonée a inspiré le monde entier à Glasgow lors de la COP 26 », écrit Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD)6. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont engagés à aider ce pays à sortir du charbon pour produire son électricité.

De son côté, la Chine a annoncé qu’elle ne financerait plus de nouvelles centrales à charbon à l’étranger, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2021. Cette décision pourrait affecter plusieurs pays africains, tels le Malawi, le Kenya, la Zambie, le Botswana ou le Zimbabwe, pour lesquels la construction de telles centrales est l’une des solutions envisagées pour réduire leur déficit d’accès à l’énergie.
Car, pour l’heure, le charbon, le gaz naturel et le pétrole représentent ensemble environ 70 % de la production totale d’électricité en Afrique. Le gaz naturel, moins polluant, est à « un tournant décisif »7 dans un continent où une série de découvertes majeures de gaz ont eu lieu récemment8. Pour de nombreux dirigeants africains, le gaz représente une carte à jouer pour produire de l’électricité. « Des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire exploitent cette ressource et utilisent ou vont créer des centrales au gaz, observe Jean-Pierre Favennec, président de l’Association pour le développement de l’énergie en Afrique (ADEA). Cela répond notamment à l’enjeu d’industrialisation des pays africains, qui nécessite un approvisionnement énergétique stable. »

Les énergies renouvelables peuvent largement contribuer à aider les pays africains à surmonter leur dépendance structurelle aux combustibles fossiles, comme le souligne le récent rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) et de la Banque africaine de développement (BAD). Mais elles attirent trop peu de financements. Sur les 2,8 Mds$ investis dans les énergies renouvelables dans le monde entre 2000 et 2020, seulement 2 % sont allés à l’Afrique et, malgré son énorme potentiel dans ce domaine, le continent ne représente que 3 % des capacités mondiales installées en électricité renouvelable.
« Un engagement politique fort, un cadre de transition énergétique juste et équitable et des investissements massifs sont nécessaires », a souligné Kevin Kariuki, vice-président de la Banque africaine de développement (BAD)9, en charge de l’électricité, de l’énergie, du climat et de la croissance verte, lors de la présentation du rapport en janvier 2022. Ce dernier plaide en faveur d’un Pacte vert pour l’Afrique susceptible de faire grimper le PIB de 6,4 % et de créer 26 millions d’emplois d’ici à 2050.

La mise en commun de diverses ressources vertes débouchera sur un système plus résilient.
Ousmane Diagana

L’essor du solaire décentralisé

Sur un continent possédant 40 % des ressources solaires mondiales, la question du rythme d’expansion de l’énergie solaire est centrale. Aujourd’hui, l’Afrique exploite moins de 0,01 % de son potentiel théorique et le solaire représente 2 % des capacités installées de production d’électricité en Afrique subsaharienne (6 % avec l’Afrique du Sud)10. Comme l’observe Hugo Le Picard, « les capacités solaires centralisées (les centrales) ne se déploient que progressivement car, d’une part, les risques sont élevés pour les investisseurs privés en raison de la mauvaise santé financière des sociétés de services d’électricité (les utilities) et, d’autre part, la capacité d’absorption des réseaux est faible ». La faiblesse des infrastructures est un obstacle à l’introduction à grande échelle de toutes les énergies renouvelables. Au Kenya par exemple, l’essor de la géothermie, qui représente d’ores et déjà plus de 50 % du mix énergétique, se heurte aux défaillances du réseau d’électricité.

En revanche, le marché des systèmes solaires décentralisés (hors réseau)11 est en forte croissance, ce qui n’étonne pas Myriam Fournier Kacimi. « C’est la solution la plus simple, la plus rapide et la moins chère à mettre en œuvre », explique-t-elle. Et c’est un vecteur d’innovation. Sungy a ainsi mis au point une technique de couplage « AC/DC Coupling » entre le système de panneaux solaires et le réseau qui garantit la sécurité énergétique, un véritable atout pour les industries et les commerces, qui ont besoin de continuité électrique. Ce sont d’ailleurs des innovations telles que le système de paiement à l’utilisation « Pay-As-You-Go »12, lié au fort développement du téléphone mobile comme outil de paiement (ou mobile money), ou encore les outils de pilotage intelligent de mini-réseaux, qui ont entraîné le déploiement rapide du solaire décentralisé, en particulier en Afrique de l’Est. Le continent est désormais le plus important marché de systèmes solaires décentralisés au monde avec 3,8 millions d’unités vendues en 201813« La décentralisation progressive des systèmes électriques est en marche », assure Hugo Le Picard dans une récente étude qui montre que le solaire décentralisé, développé initialement dans les zones rurales, connaît un essor rapide dans les villes africaines14.

À l’heure de la transition énergétique, l’expérience africaine des énergies renouvelables et les systèmes créés pour l’accès à l’électricité seront source d’inspiration pour d’autres régions du monde, y compris dans les pays les plus développés. Myriam Fournier Kacimi en est convaincue : « Les solutions que nous avons mises au point en Afrique nous permettent aujourd’hui de pénétrer sur le marché français et européen. Elles nous donnent un temps d’avance ! »

1. Le 7e ODD (objectif de développement durable) de l’Agenda 2030 de l’ONU vise entre autres à assurer « l’accès de tous à des services énergétiques fiables et modernes, à un coût abordable » en 2030.
2. Interview de Damilola Ogunbiyi paru dans la publication de l’ONU Afrique Renouveau, 15 juillet 2021.
3. https://www.sungy.co/
4. Article de la Banque mondiale « Miser sur la puissance de l’énergie pour faire rayonner l’Afrique », 22 juillet 2021.
5. À l’heure où nous écrivons ces lignes, ce rapport n’est pas encore paru mais ses grandes lignes ont été présentées par le directeur de l’AIE, Fatih Birol, lors d’une conférence publique.
6. L’Économie africaine 2022, Agence française de développement, coll. « Repères Économie », La Découverte, février 2022.
7. Selon les termes de l’AIE dans son rapport « Africa Energy Outlook 2019 ».
8. Les découvertes en Afrique représentent plus de 40 % des découvertes mondiales de gaz entre 2011 et 2018 (source : AIE, 2019)
9. Rapport « Renewable Energy Market Analysis: Africa and its regions », Irena & AfDB, 2022.
10. Irena, « Renewable Energy Statistics », 2021.
11. Pour en savoir plus sur les di  érentes définitions des systèmes solaires décentralisés : www.gogla.org
12. L’entreprise loue aux consommateurs un kit solaire (permettant de charger les téléphones, d’alimenter des systèmes d’éclairage, des radios, des téléviseurs) et ils choisissent un niveau de service énergétique.
13. Gogla, « 2020 O  -Grid Solar Market Trends Report », mars 2020.
14. Hugo Le Picard et Matthieu Toulemont, « Le solaire décentralisé à l’assaut des villes africaines. Une analyse originale d’imagerie satellite et de Deep Learning », Briefings de l’Ifri, Ifri, 18 janvier 2022.

Pour aller + loin

Le rapport et le livre

Renewable Energy Market Analysis: Africa and its Regions
International Renewable Energy Agency (Irena) & African Development Bank (AfDB), janvier 2022.

L’économie africaine 2022
Agence française de développement Coll. « Repères Économie », La Découverte, février 2022.

Le site

Agence internationale de l’énergie (IEA)
www.iea.org

La vidéo et le reportage radio

En anglais : 10 projets d’énergie renouvelable en cours en Afrique, The New Africa Channel, 11 février 2022
Voir la vidéo

Au Kenya, leader des énergies vertes en Afrique, RFI, 28 février 2022
Écouter le reportage radio

Illustrations

Beya Rebaï
Née en 1995, Beya Rebaï construit ses dessins avec une gamme colorée restreinte et soigneusement choisie.
Son carnet de croquis l’accompagne toujours, que ce soit dans son quartier ou à des milliers de kilomètres.

Texte

Catherine Véglio
Conseillère éditoriale, journaliste, romancière,
Catherine Véglio explore les domaines de l’économie,
de l’innovation, des sciences, des technologies et leurs relations avec la société.