Philippe Journo : « donner rend meilleur »
C’est une belle journée de fin d’été et le Philanthro-Lab, lauréat du concours Réinventer Paris, ouvre ses portes après trois ans de travaux. Le bâtiment a été entièrement rénové et Philippe Journo inspecte chaque détail. C’est un petit projet pour la Compagnie de Phalsbourg, mais sans doute un des plus importants pour son PDG, mécène et féru d’architecture.
Philippe Journo aime raconter l’histoire du lieu, construit à la fin du XVe siècle pour y accueillir la première faculté de médecine, face à l’Hôtel-Dieu, dans une des plus anciennes rues de Paris, la rue de la Bûcherie. C’est cette histoire qui lui a donné l’idée du Philanthro-Lab. « Il faut imaginer Paris au XIVe siècle. La ville était approvisionnée par la Seine et les ports étaient spécialisés. En face, c’était le port aux bûches. Les Parisiens venaient chercher leur bois, pour se chauffer, et ils apportaient leur viande avariée, qui était bouillie et salée sur place, pour être donnée aux indigents. C’était la philanthropie de l’époque. Le lieu a rencontré notre histoire. C’est toujours ça l’innovation : deux histoires qui se rencontrent. »
Génèse
L’histoire de Philippe Journo c’est celle d’un « self-made-man à la française issu de la classe moyenne. » Père, petit commerçant, mère institutrice. « Je dirais que ma mère, qui était quelqu’un de très travailleur, m’a appris à gagner ma vie et mon père à la dépenser avec élégance. » sourit-il. À la sortie de son école de commerce, il passe un entretien, mais cela ne lui plaît guère. Il veut être son propre patron. Il rachète une première entreprise en 1987, et crée la Compagnie de Phalsbourg, deux ans plus tard, à l’âge de 28 ans. A-t-il un lien avec cette petite ville de Moselle ? « C’est la ville d’origine de la famille de la mère de ma fille… mais aussi celle des fondateurs de la banque Lazard. Je suis un peu superstitieux et je me suis dit que ça me porterait bonheur… » Bien vu ! Après quelques années dans le business du retournement d’entreprises, il s’aperçoit que son savoir-faire et son talent, c’est l’immobilier. Il se spécialise alors dans les centres commerciaux de périphérie et les redessine à ciel ouvert, paysagés, innovants architecturalement. C’est l’Atoll à Angers, Waves à Metz, et tout récemment Mon grand Plaisir dans les Yvelines… « J’avais réalisé que la moitié de la population allait vivre dans des banlieues. C’étaient des territoires délaissés et j’estimais, et j’estime toujours, qu’il n’y a pas de sous-citoyen, qu’il faut respecter les gens, et faire, pour eux, ce qu’on sait faire de mieux. » Aujourd’hui, c’est la même ambition qui le guide dans les grands projets urbains, nouveau domaine de prédilection de la Compagnie de Phalsbourg, lauréat de onze projets aux concours Réinventer Paris et Inventons la métropole du Grand Paris.
Philanthrope dans l’âme
Philippe Journo dit avoir eu très tôt « une appétence pour la philanthropie. » Sans doute, le parcours de sa sœur, aveugle de naissance, aujourd’hui professeure de droit, grâce au soutien de bénévoles, qui lui ont lu et enregistré des livres, n’y est pas pour rien.
Dès 2007, il développe sa doctrine dans un petit livret d’une douzaine de pages, intitulé Notre action citoyenne, inspiré de la philosophie anglo-saxonne du Give back : rendre à la société ce qui nous a été donné. Il décide de consacrer 20 % de ses revenus personnels et des profits de son Groupe à des actions citoyennes, avec cinq axes : l’aide à la rénovation de bâtiments exceptionnels, l’accès à la culture pour tous, l’aide aux handicapés notamment en faveur des non-voyants, le maintien des traditions culturelles et un mécénat direct vers les artistes.
Sa première grande opération mécénale est la rénovation des façades de l’École nationale des Beaux-Arts et de l’École nationale d’architecture de Paris-Malaquais, en 2007. Elle est suivie de nombreuses autres comme la ceinture de lumière de l’Opéra de Paris ou l’église de Plaisir. Lui et son épouse Karine ont d’ailleurs reçu les titres de Grands mécènes et de Grands donateurs du ministère de la Culture. « J’ai toujours été fasciné par la grandeur de la France, de son histoire, de ses bâtiments. Mais j’ai compris très tôt que l’État n’avait plus les moyens, et je ne pouvais pas laisser ce patrimoine se délabrer. »
« Toutes les causes sont bonnes »
Si Philippe Journo est très investi dans le mécénat culturel, il estime que « toutes les causes sont bonnes » et que ce choix appartient à l’histoire de chacun. « Il y a trois ressorts à la philanthropie : la cause, la personne qui vous présente la cause, et l’émotion que suscite la cause. À Notre-Dame, la cause vaut 10 millions, c’est le résultat de la collecte lancée pour faire les travaux, et l’émotion 840 millions. »
Le 15 avril 2019, il était sur le toit du Philanthro-Lab, avec son épouse. « On a pleuré pendant deux heures en regardant Notre-Dame brûler. Nous avons proposé dès le lendemain de prêter le Philanthro-Lab qui se situe à quelques mètres pour y installer les bureaux de l’archevêché et/ou des équipes qui allaient s’atteler à sa reconstruction. L’extrême générosité des Français m’a beaucoup touché. Et je pense aussi regrettables les critiques de certains autour du don de 100 millions d’euros de François Pinault puis celui de 200 millions de Bernard Arnault. J’ai trouvé cette polémique vraiment déplacée : on peut exprimer des désaccords mais on ne peut pas cracher à la figure de ceux qui donnent. »
Démocratiser le réflexe du don
Dans son fascicule de 2007, Philippe Journo proposait de défiscaliser les 500 premiers euros de don. « Je suis allé voir tous les ministres, ils m’ont dit “Oubliez, la France est ruinée”. » Convaincu et opiniâtre, il continue de porter cette mesure avec 100 euros. Car la démarche compte autant que le don. « L’idée est que chacun se dise en début d’année : quelle cause me tient à cœur et mérite que je lui donne ? »
Pour Philippe Journo, il faut multiplier les formes d’engagement (arrondis en caisse, pro bono, bénévolat…) et convaincre tout un chacun de donner, quels que soient ses moyens, de l’argent, du temps ou des compétences. « Donner rend meilleur, et si tout le monde donne, à une échelle macroéconomique, cela peut donner un monde un petit peu meilleur, une société un peu moins égoïste. » Démocratiser le réflexe du don pour un monde meilleur, c’est la vision de Philippe Journo, et c’est celle qu’il entend promouvoir au Philanthro-Lab.
LE PHILANTHRO-LAB :
UN LIEU POUR ENCOURAGER L'ENGAGEMENT
Le Philanthro-Lab est le premier site physique entièrement dédié à la philanthropie, un lieu de rencontre entre mécènes, porteurs de projets et bénévoles, qui est à la fois un espace de coworking, un centre de formation et de conseil, et un lieu d’engagement citoyen où chacun pourra venir soutenir une cause ou une association de son choix. C’est un concept totalement inédit, selon Philippe Journo, qui n’a pas trouvé d’équivalent, dans le monde.Tout n’est pas encore fini. Le sous-sol - qui accueillera le restaurant d’application du chef étoilé Thierry Marx, et son association de réinsertion professionnelle - est encore en travaux. La terrasse - avec sa vue imprenable sur Notre-Dame - attend son bar des philanthropes, et l’oculus, dans la cour, ses plantes médicinales, clin d’œil à l’histoire du lieu. Mais le Philanthro-Lab est ouvert et vibre déjà de l’enthousiasme de ses premiers résidents : Make.org, Entreprendre&+, Ma chance moi aussi, CeQueJeVeuxFairePlusTard, Gratitude…
Le bâtiment de 2000 m2, classé aux monuments historiques, a été sublimement restauré et aménagé par la Compagnie de Phalsbourg qui s'est entourée de l’agence Perrot & Richard et RF Studio Ramy Fischler. Au rez-de-chaussée, la salle des colonnes et l’amphithéâtre accueilleront expositions, ventes aux enchères, conférences, débats et autres rencontres susceptibles de professionnaliser la philanthropie. Dans les étages, les espaces de coworking comptent 120 postes de travail auxquels s’ajoutent quelques bureaux privés pour des structures plus importantes, comme le fonds de dotation Terre & Fils, et l'association Le Projet Imagine.
Le Philanthro-Lab est aussi un incubateur. « La station F de la philanthropie » aime à dire Philippe Journo. Au terme du premier appel à projets, huit associations ont été choisies : Arpamed, Ikigaï, In : Expeditions, la Fabrique de la Danse, Passeur de mots, Passeur d’histoires, Activ'Action et Yes Asso. Les huit lauréats, qui bénéficieront d’un poste de travail et d’un accompagnement personnalisé durant 10 mois, représentent une grande diversité de causes : l’accompagnement des personnes malades, l’inclusion des enfants handicapés, le patrimoine archéologique, l’accès à la culture pour tous, la valorisation de l’engagement citoyen… Et ils seront rejoints, en janvier, par des philanthropes (entreprises et particuliers) incubés, pour leur part pour une durée de six mois. Avec peut-être de belles rencontres en perspective…