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Réclamations

Les forêts à l’heure du changement climatique

Contributeurs

Nathalie Barbe

Directrice des relations institutionnelles de l’Office national des forêts (ONF), chargée de la gestion des forêts publiques françaises

Alain Karsenty

Chercheur-économiste spécialiste des forêts au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)

Éric Toppan

Directeur général adjoint de Fransylva

Ces derniers mois, les forêts ont été au cœur de l’actualité. Elles ont brûlé, partout, indistinctement, dans des proportions inédites. Un chiffre permet de mesurer toute l’ampleur des dégâts : 508 260. C’est le nombre d’hectares partis en fumée à l’échelle de l’Union européenne que l’EFFIS (le système européen d’information sur les feux de forêt) a recensés entre le 1er juin et le 31 août 2022 – soit plus du double de la moyenne annuelle enregistrée sur cette même période entre 2006 et 2021 (215 000 hectares).

En France, deuxième pays européen le plus frappé après l’Espagne, le facteur est même bien plus important : cette année, ce sont ainsi 62 000 hectares qui ont été emportés par les feux de forêt estivaux, quand les pertes s’élèvent habituellement à 10 000 hectares en moyenne, sur la même période. Alors, par la force des choses, les forêts sont aussi devenues un sujet « brûlant » de l’agenda politique. Après qu’Emmanuel Macron a annoncé dès juillet un « grand chantier national de replantation » sur les massifs ravagés par les flammes, sa Première ministre Élisabeth Borne a ensuite consacré la forêt comme l’une des trois priorités (aux côtés de l’eau et de l’énergie décarbonée) de sa politique de « planification écologique », en cours de concertation.

C’est qu’il y a urgence, alerte Alain Karsenty, chercheur-économiste, spécialiste des forêts au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) : « Depuis une vingtaine d’années, l’état de santé général des arbres et leur taux de mortalité sont préoccupants. » Éric Toppan, directeur général adjoint de Fransylva, la fédération qui représente et défend l’ensemble des 3,5 millions de propriétaires privés forestiers en France, est du même avis : « Les forêts subissent le changement climatique, dont les impacts sont à la fois multiples et de plus en plus concrets. Avant, on avait une sécheresse tous les vingt ans, désormais, c’est presque chaque année ! »

Le double effet du changement climatique

Sous l’effet combiné du stress hydrique et de l’augmentation des températures, les arbres s’affaiblissent et sont ainsi plus vulnérables aux intempéries comme aux ravageurs, dont la prolifération est aussi engendrée par les conditions climatiques extrêmes – c’est le fameux « double effet » du changement climatique. « Comme n’importe quel être vivant, plus les arbres sont fragiles, moins ils sont résistants aux agressions extérieures », confirme Nathalie Barbe, directrice des relations institutionnelles de l’Office national des forêts (ONF), chargée de la gestion des forêts publiques françaises.

« Dans ce contexte, les attaques sanitaires constituent une menace de plus en plus importante. » À l’instar des dégradations causées par le scolyte, un insecte xylophage qui ronge les épicéas dans le quart nord-est de la France. La fructification et le renouvellement des espèces sont également impactés par les phénomènes de sécheresse. Autrement dit, le changement climatique touche jusqu’à la régénération naturelle des forêts.

Avant, on avait une sécheresse tous les vingt ans, désormais, c’est presque chaque année !
ÉRIC TOPPAN

Pourtant, rappelle Alain Karsenty, « les forêts assurent une fonction essentielle dans le cycle du carbone, puisqu’elles stockent autour de 26 à 27 % de nos émissions de CO2 ». Étrange paradoxe : aux avant-postes du changement climatique, les forêts se retrouvent parmi les victimes les plus exposées à un phénomène qu’elles sont précisément censées aider à combattre. En brûlant, les forêts subissent les conséquences d’un changement climatique qu’elles contribuent alors à aggraver en dégageant dans l’atmosphère toutes les quantités de CO2 jusque-là stockées1... Pourtant, c’est bien ce rôle de puits de carbone qui fait des forêts un allié de premier plan dans la bataille climatique. Et même bien au-delà : en offrant un refuge inégalable de biodiversité, une protection nécessaire contre l’érosion des sols ou encore un service efficace de filtration des eaux, les forêts garantissent un grand nombre de bienfaits pour l’environnement.
 

1. En l’occurrence, les émissions liées aux incendies cet été auraient atteint le niveau record de 6,4 mégatonnes de CO2 selon le service européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus.

Un potentiel socio-économique considérable

Ces services écosystémiques ont été évalués à 970 euros par hectare de forêt et par an dans le cadre du célèbre rapport Chevassus-au-Louis sur le coût de la biodiversité2. Un prix qui tente de mesurer l’ensemble des services essentiels rendus par les forêts, qu’ils soient environnementaux, énergétiques ou bien même culturels – la forêt de Fontainebleau n’est-elle pas le site naturel le plus fréquenté de France, avec 10 millions de visiteurs par an ? On pense aussi à l’Estonie. Dans ce petit pays, situé entre la Lettonie et la Finlande, l’un des plus boisés d’Europe, l’attachement à ces espaces est tel que les habitants se considèrent volontiers comme citoyens d’une « nation forêt ».

« L’idée n’est certainement pas de dire qu’il faut faire payer l’accès aux forêts, au contraire ! défend Éric Toppan. Cependant, il faut pouvoir mieux considérer les acteurs économiques comme des partenaires de cet équilibre écologique. Sans meilleure valorisation économique de la forêt, il est difficile d’en attendre une gestion plus durable... » A fortiori en France, où les forêts sont détenues aux trois quarts par de petits propriétaires privés qui doivent engager des frais parfois importants pour entretenir les boisements. C’est une spécificité à l’échelle européenne, là où les forêts relèvent majoritairement du domaine public partout ailleurs.

De quoi instituer, enfin, la sylviculture comme une filière majeure de la transition énergétique en même temps qu’un levier de développement économique ? Les chiffres parlent pour elle : selon la Banque mondiale, l’exploitation forestière à travers le monde générerait près de 13,2 millions d’emplois pour une valeur ajoutée brute supérieure à 600 milliards de dollars par an. En Europe, où les forêts occupent 159 millions d’hectares (soit 38 % du territoire), le secteur industriel qui s’est constitué autour du bois et de ses différents usages – construction, papeterie, chauffage, artisanat – représente également un certain poids socio-économique. « La filière compte pour 20 % des entreprises manufacturières dans l’ensemble de l’Union européenne, ce qui représente 3,6 millions d’emplois et un chiffre d’affaires annuel de 640 milliards d’euros », chiffrait ainsi la Commission européenne en juillet 2021, au moment de présenter sa nouvelle stratégie pour les forêts à l’horizon 2030.

Une tendance qui pourrait bien s’amplifier lors des prochaines années, au cours desquelles le bois devrait s’imposer comme un matériau prisé dans la grande trajectoire de décarbonation de l’économie. « Nombre de nos politiques publiques indiquent que le bois va devenir une ressource stratégique, confirme Nathalie Barbe. Prenez la nouvelle réglementation environnementale, la RE2020 : elle prévoit un recours accru au bois pour la construction des bâtiments neufs. » De son côté, Éric Toppan constate déjà un certain frémissement sur les marchés, depuis le grand bouleversement pandémique. « Les demandes en bois explosent, notamment depuis la crise de la Covid-19. Cela participe probablement d’un certain souci de souveraineté industrielle pour l’économie française : pourquoi se priver de cette ressource dont on dispose, surtout quand elle a tant d’avantages ? » encourage celui qui est également coordinateur de l’Observatoire économique de France Bois Forêt, l’interprofession réunissant tous les grands métiers de la filière. « Le bois, c’est bon pour tout le monde : pour l’environnement, pour le contribuable et pour nos territoires, puisque c’est un vivier d’emplois non délocalisables, en milieu plutôt rural ! »
 

2. Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes, rapport du Centre d’analyse stratégique, présidé par Bernard Chevassus-au-Louis, avril 2009.

Des investissements à la hausse

Autant d’arguments qui ont poussé les acteurs financiers à s’intéresser d’un peu plus près au sujet, en développant les investissements en la matière. À l’image de la Banque européenne d’investissement (les actionnaires de la BEI sont les 28 États membres de l’UE), qui finance des projets d’investissement relevant aussi bien du secteur privé que du secteur public, et couvre l’ensemble de la chaîne de valeur de la foresterie, de la production à la transformation en passant par la recherche-développement et l’innovation. Un exemple ? La modernisation d’une usine de pâte à papier en Suède, qui incluait la régénération et le reboisement de 68 000 hectares de forêt – presque trois fois l’équivalent de la région de Stockholm. En accordant un prêt de 150 millions d’euros à l’entreprise SCA, la deuxième scierie et le premier propriétaire forestier privé d’Europe, la BEI aura ainsi permis l’absorption de plus de 44 000 tonnes supplémentaires d’équivalent CO2 par an.

Plus les arbres sont fragiles, moins ils sont résistants aux agressions extérieures.
NATHALIE BARBE

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11 millions d'hectares

C’est le gain de la surface forestière européenne, entre 1990 et 2010, sous l’effet combiné de son expansion naturelle et des efforts de boisement. Ce qui fait de l’UE une exception, à l’heure où la déforestation ne cesse de gagner du terrain dans le reste du monde.

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3 milliards

C’est le nombre d’arbres supplémentaires que l’Union européenne compte planter d’ici à 2030. Une ambition inscrite dans la feuille de route de la « nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030 », qui vise notamment à concrétiser l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

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42%

C’est la part du bois européen destinée à un usage énergétique. La moitié environ de la consommation d’énergie renouvelable dans l’UE provient ainsi du bois. Le reste est notamment destiné aux scieries (24 %) et à l’industrie papetière (17 %).

Autre voie de financement, les réseaux de type business angels tel Forinvest, qui a investi plus de 8,5 millions d’euros dans 31 sociétés différentes, depuis sa création en 2010. « Il y a du retard à rattraper ! Pendant longtemps, notre filière a été la grande oubliée des mécanismes de financement, public comme privé... À présent, tous les indicateurs sont au vert et traduisent que l’investissement dans les forêts est devenu intéressant ! » Y compris pour les particuliers, qui peuvent désormais se tourner vers différents produits de diversification de leur patrimoine proposant de « l’investissement forestier », tel qu’European Forest par exemple.

La puissance publique n’est pas en reste et semble également vouloir prendre sa part dans l’effort. C’est en tout cas le sens du plan France relance 2020, qui a sensiblement rehaussé les ambitions du gouvernement à l’égard des forêts. « Avec 150 millions d’euros alloués en 2021 et 100 millions en 2022, on assiste à une sacrée inflexion, admet Nathalie Barbe. Auparavant, les aides publiques d’incitation étaient très faibles, de l’ordre de 15 millions par an... » Problème, tel que le révélait l’ONG Canopée au printemps dernier, ces nouveaux investissements auraient principalement servi à la plantation massive, en monoculture, du pin douglas, une espèce réputée pour sa croissance rapide. Un modèle d’exploitation qu’il faudrait désormais abandonner, comme le rappelaient 600 scientifiques et associatifs dans une tribune parue lors des dernières Assises nationales de la forêt et du bois : « Avec des sécheresses estivales de plus en plus fréquentes, les coupes rases de grandes surfaces suivies de plantations sont un pari de plus en plus risqué, comme le montrent les taux records de mortalité dans les jeunes plantations ces dernières années.3 » Si l’argent reste, comme souvent, le nerf de la guerre, c’est donc aussi un véritable changement de paradigme qu’il convient d’opérer sur le terrain, afin d’accompagner l’ingénierie forestière vers des pratiques plus résilientes et plus adaptées aux chocs climatiques. À l’instar, par exemple, de l’Allemagne, qui s’est engagée dans une politique de diversification des essences.

Face à l’ampleur des défis, une meilleure coopération européenne en matière de protection des forêts pourrait ainsi s’avérer pertinente. Fin août, la Commission européenne a certes lancé une consultation publique au sujet de la future proposition législative relative à un nouveau cadre européen de surveillance et de planification stratégique des forêts. Mais, pour l’heure, les traités ne mentionnant pas expressément les forêts, le principe de subsidiarité s’applique et la politique forestière reste une compétence nationale. Autrement dit, à la différence de l’agriculture avec la PAC, l’Union européenne ne dispose pas – encore – de politique ni de budgets communs en la matière. Ce qui prend pourtant tout son sens pour bon nombre de sujets, estime Nathalie Barbe : « Que ce soit sur le développement de la biomasse, sur la lutte contre les nuisibles ou la déforestation importée, il serait utile de pouvoir penser certaines politiques publiques à l’échelle européenne. » Tout comme le changement climatique, les forêts sont plus que jamais notre affaire à tous.

 

3. Tribune parue dans Le Journal du Dimanche le 15 janvier 2022.

Les forêts stockent autour de 26 à 27 % de nos émissions de CO2.
ALAIN KARSENTY

Pour aller + loin

LE RAPPORT

« Une nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030 », communication de la Commission européenne, 16 juillet 2021.
Un rapport de 32 pages qui détaille les enjeux et les perspectives d’action pour l’Union européenne en matière de politique forestière.

LE LIVRE

La vie secrète des arbres, Peter Wohlleben, (éd. Les Arènes, 2017)
Une ode au fonctionnement du monde sylvestre et à ses bienfaits pour la société, afin de mieux appréhender le rôle global joué par cet écosystème.

LE SITE

Le portail de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière), qui analyse chaque année le « Bilan de santé des forêts françaises »
https://www.ign.fr/reperes/bilan-de- sante-des-forets-francaises/

Illustrations

Clément Thoby
Clément Thoby crée principalement des paysages aux crayons de couleur, issus de ses voyages, qu’ils soient réels ou imaginaires.

Texte

Hugo Noig
Hugo Noig est journaliste indépendant, spécialisé dans les questions d’environnement et de climat. Depuis dix ans, il couvre ces enjeux pour différents titres de la presse quotidienne et magazine.