L’illusion monétaire : un tour de magie qui ne va pas enchanter vos finances !
On ne saurait passer à côté des nombreux commentaires ambiants sur la résurgence de l’inflation. Et pourtant, cette lame de fond ne semble pas nous préoccuper au moment de prendre les décisions financières. Comment expliquer ce danger pour nos finances personnelles ?
Alors que la thématique du pouvoir d’achat est au centre du débat public dans de nombreux pays, le nom de Gérard Majax, célèbre magicien de la télévision française, a été cité lors du débat d’entre-deux tours de l’élection présidentielle française ! Une référence loin d’être incongrue car en matière de pouvoir d’achat, nous allons le voir, l’illusion a toute sa place.
Raisonner hors inflation : pas de baguette magique !
Le printemps est là, avec sa ribambelle de vide-greniers et foires : l’occasion de ressortir des objets des décennies passées pour tenter d’en tirer quelques espèces auprès de collectionneurs. Certains espèrent donc réaliser de belles plus-values en revendant, par exemple, 300 euros des objets initialement achetés moitié prix dans les années 1980 (1000 francs soit l’équivalent 150 euros) ! De quoi faire fortune apparemment… mais entre-temps l’inflation est passée par là et ces 1 000 francs équivalent à près de 450 euros aujourd’hui selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)(1) … La fortune ne sera donc pas au rendez-vous…
« L’illusion monétaire » se définit justement comme la préférence pour les indicateurs hors inflation (en termes nominaux), plutôt qu’après prise en compte de celle-ci (en termes réels). Comment l’expliquer ? D’abord pour la plus grande facilité à appréhender les agrégats, autrement dit, les éléments financiers, hors inflation ; ensuite en raison d’une attention plus aisée pour les termes nominaux. Cette fâcheuse préférence a été mise en évidence dans une célèbre étude de 1979(2) pour laquelle les participants devaient classer les choix financiers de trois personnages fictifs, Adam, Carl et Ben afin de distinguer celui qui avait réalisé la meilleure opération. Le cas était le suivant : après avoir reçu une maison pour 200 000$, Adam la revend pour 154 000$, soit 23 % de moins, mais avec 25 % de déflation (baisse des prix) sur la période ; Ben la cède pour 198 000$, soit 1 % de moins, alors que les prix sont restés stables sur la période ; Carl la vend 246 000$, soit 23 % de plus, avec une inflation de 25 % sur la période.
La majorité des participants a considéré qu’Adam (+2% en termes réels) réalisait la moins bonne opération et qu’à l’inverse Carl (-2% en réel) avait enregistré la meilleure opération ! En se concentrant sur l’aspect affectif, les participants ont raisonné en termes nominaux !
L’illusion monétaire revêt une importance particulière aujourd’hui : en n’intégrant pas l’érosion monétaire liée à l’inflation, certaines allocations d’actifs peuvent être malheureuses. De même, il est nécessaire de changer notre perception de ce qui constitue un niveau attractif de rentabilité (au regard de la prise de risque) dans ce contexte inflationniste.
La poudre aux yeux des émotions
Une expérience plus récente(3) confirme notre difficulté à bien appréhender les équations financières quand nos émotions prennent le dessus. Ainsi, en prenant là aussi un cas fictif, il était demandé de juger une transaction immobilière mêlant emprunt et revente d’une maison préalablement achetée. Cette expérience a démontré que lorsque la question invite à se concentrer sur les termes économiques de l’opération (« la meilleure opération »), la réponse donnée est réfléchie : quel que soit le montant de dette résiduelle au moment de la revente, l’opération est perçue comme équivalente. En revanche, en cas de moins-value donnant lieu à un flux négatif pour rembourser la dette restante, la prise en compte de la douleur liée au flux négatif brouille la perception, même avec un montant de moins-value identique entre les propriétaires. Enfin, cette étude met en évidence que la concentration des sondés sur le sentiment (le « bonheur ») influence la réponse : le flux éventuellement négatif et la contrainte de liquidité associée est d’autant plus mal ressentie.
Ainsi, pour intégrer le changement d’environnement économique et la hausse des prix, il est clé de ne pas se laisser aveugler par ses émotions mais de rester sur des aspects économiques, parfois très calculatoires.
Vous aurez noté la longueur de l’article… elle aussi victime de l’inflation… ou comment se laisser submerger par son émotion au moment d’écrire !
(1) https://www.insee.fr/fr/information/2417794
(2) « Money Illusion », E. Shafir, P. Diamond et A. Tversky (1997)
(3) "Is There a Link Between Money Illusion and Homeowners’ Expectations of Housing Prices?", L. Ackert, B. Church et N. Jayaraman (2011)
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