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Réclamations

Fret : terre et mer s’accordent sur le vert

Experts

Christophe Lemaire

Responsable du digital pour Rail Logistics Europe

Alex Caizergues

CEO de Syroco

Mette Sanne Hansen

Responsable du département Maritime au sein
de l'Université technique du Danemark

Pressé par les objectifs de décarbonation, le fret maritime et ferroviaire tente de jouer un rôle prépondérant dans le futur des transports propres. En misant sur la bascule vers des carburants propres mais surtout sur une optimisation des données et une exploitation intelligente des contraintes de flux.

En novembre 2017, le lancement de son chantier a fait l’objet d’une campagne de communication digne des cérémonies de bénédiction des paquebots, à l’âge d’or des croisières transatlantiques. Trois ans plus tard, en septembre 2020, le Jacques Saadé, nom du fondateur de la compagnie marseillaise CMA-CGM sortait des chantiers navals de Shanghai pour être mis à l’eau. Avec le Jacques Saadé et la construction de huit autres navires du même type annoncée par la compagnie, l’armateur marseillais a concrétisé sa mue. Celle d’un basculement vers des carburants plus propres comme le gaz naturel liquéfié (GNL), dont la combustion réduit de 25 % les émissions de CO2.

Une transition progressive

90 % du transport de marchandises mondial étant maritime selon l'Institut français des relations internationales (Ifri), la consommation de carburant est devenue incompatible avec les impératifs de lutte contre le changement climatique. Si le transport maritime correspond déjà à 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit autant que le transport aérien, son impact pourrait être multiplié par six d'ici 2050 et atteindre 17 % des émissions, selon l'Organisation maritime internationale (OMI). Pressée par ce constat et les Accords de Paris sur le climat en 2015, l'OMI s’est fixé en 2018 un objectif de réduction de 50 % de cette part d'ici 2050. Et chaque tonne de carburant qui pourra être économisée représente également des millions d'euros pour les armateurs. L’un des leaders du fret maritime se devait donc de montrer l’exemple.

Comme le résume Mette Sanne Hansen, chercheuse à la tête du centre maritime de l’Université technique du Danemark, « les entreprises du secteur sont pleinement engagées dans la recherche de solutions pour un transport décarboné. Au Danemark, nous avons noué des partenariats avec des entreprises, des universités et ce que nous appelons ici des instituts de recherche et de technologie, pour préparer l’avenir. »

Pour l’universitaire danoise, cette approche est basée à la fois sur la volonté et sur les opportunités : « Les armateurs savent qu’il ne sert à rien de traîner les pieds ou de ne pas être à la pointe des nouvelles technologies. Je crois qu’ils n’ont pas non plus le choix, et c’est aussi une très bonne opportunité pour leur entreprise. » Initiée en 2011, la transition du fret maritime vers les carburants propres se fait de manière continue. Selon les données de la plate-forme AFI (Alternative Fuel Insights) le seuil des 1 000 navires marchands équipés de moteur au GNL a été franchi en mars 2024. Un chiffre qui peut paraître modeste à la vue du nombre de cargos, tankers et porte-conteneurs circulant sur les océans mais qui doit aussi prendre en compte la durée de vie moyenne des navires, qui se situe aux alentours de 40 ans. En clair : la volonté de basculer vers des carburants alternatifs ne signifie pas saborder la flotte traditionnelle avant qu’elle n'ait fait son temps. De plus, il faut noter qu'une part de ces conversions relève du refitting, une reconfiguration du système de propulsion au fuel diesel de bateaux anciens.

Les armateurs savent qu'être à la pointe des nouvelles technologies est une opportunité pour eux.
METTE SANNE HANSEN

Le transport vélique a le vent en poupe

D’autant que d’autres pistes sont aussi sur la table dont le retour du transport vélique, fondé sur la forme la plus ancienne de propulsion maritime : du vent et une voile. Depuis une petite décennie, les projets d’installation de voiles sur le pont de navire commerciaux ont fait leur retour. La compagnie maritime suédoise Wallenius Marine a ainsi annoncé en 2021 adopter la technologie Ocean bird dans la construction de ses futurs navires. Dans le détail : cinq mâts d’une hauteur de 40 mètres, équipés de voiles capables de tourner à 360 degrés pour une économie annoncée de près de 90 % de carburants. Un projet ambitieux qui pourrait voir le jour en 2026. En France, Michelin s’est récemment lancé dans la conception de voile innovante à travers sa filiale Wisamo. Après avoir testé une voile gonflable sur le bateau du navigateur Michel Desjoyaux, le fabricant de pneumatique espère équiper un navire de marine marchande d’ici quelques années. Parallèlement, la directrice marketing de Wisamo, Sandrine Porcheret annonçait en 20231 « l’installation d’une aile analogue sur le MN Pelican, un roulier affrété par Brittany Ferries pour effectuer la rotation entre Bilbao et l’Angleterre. »

La France est d’ailleurs l’un des acteurs les plus avancés sur le transport vélique. Le secteur tente de créer une filière structurée, implantée dans la région nantaise qui accueille de nombreuses start-ups dédiées à la propulsion à voile. Parmi elle, Syroco, fondée par Alexandre Caizergues, triple champion du monde de vitesse de kitesurf. Depuis sa retraite sportive, le Marseillais et ses associés souhaitaient « accompagner la décarbonation du transport maritime qui impacte fortement un milieu ‒ la mer ‒ qui nous a beaucoup donné et nous passionne. » L’ancien champion croit au développement d’une propulsion hybride où le vélique puisse servir d’appoint. « Dans la majorité des cas, cela ne peut pas être l'énergie principale. Pour l’instant cela reste des niches mais cela fonctionne et permet de faire 5 à 10 % d’économie (voire plus si le vélique est intégré à la conception du navire). » Si le prix d’un gréement moderne reste dissuasif, plusieurs millions d’euros, les transporteurs pourraient rapidement y trouver leur compte. « En sachant que le fuel représente le principal poste de dépense, une économie, même mineure, est rentable en quelques années. »

D’autant que, selon Alexandre Caizergues, les clients des affréteurs sont de plus en plus exigeants sur les moyens utilisés pour transporter leurs produits. « La pression des donneurs d’ordre a un impact sur les garanties écologiques apportées. C’est aussi une question de survie. » Plutôt qu’une grande révolution ou une solution miracle, l’entrepreneur considère que le transport vélique ne sera qu’une composante de la transition vers un transport maritime décarboné. « C’est une combinaison : il faut des carburants de synthèse, e-méthanol, ammoniac ou encore hydrogène vert, un peu de propulsion vélique et surtout des navires plus intelligents. » C’est en prenant en compte cette complémentarité que Syroco a imaginé un logiciel de routage et d’optimisation pour les navires marchands de plus de cent mètres de longueur. Grâce à l’intelligence artificielle et au machine learning, le programme propose des routes moins consommatrices d’énergie.

« C’est une interface pour les personnels navigants qui compile toutes les données naturelles comme le vent, les vagues et les courants. Des vagues de face, c’est 40 % de consommation en plus », résume Alexandre Caizergues. Une trentaine de navires se sont déjà équipés du logiciel.

L’avenir électrique du fret routier

La principale avancée technologique pour décarboner le fret routier, à l’origine de 26 % des émissions de gaz à effet de serre, consiste à remplacer la flotte des camions à moteur diesel par une flotte équipée de moteurs électriques.

Comme le résume Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique), « c’est sur le fret routier que se concentrent tous les enjeux et ce n’est pas une tâche simple. La technologie de substitution est pourtant prête et a fait ses preuves, la bascule a eu lieu il y a deux ans. Il existe une gamme complète de tracteur ‒ entre 19 et 26 tonnes ‒ produite par l’ensemble de la filière », poursuit Clément Molizon.

Tous les constructeurs proposent désormais des camions à propulsion électrique même si pour l’instant ce sont surtout les grosses entreprises du secteur qui en font l’acquisition et testent leur degré d’autonomie. L’année dernière, 552 immatriculations électriques ont été enregistrées en France, notamment pour du fret interurbain. Pour les longues distances, les constructeurs espèrent atteindre 500 km d’autonomie d’ici 2025 et couvrir ainsi 90 % des besoins.

Un objectif qui doit s’accompagner de l’installation de bornes de recharge, soit en dépôt soit sur les aires de service pour les longs trajets. La révolution électrique du poids lourd implique aussi la question de la production de batterie électrique. À ce jour, six des dix premiers fabricants mondiaux sont chinois.

L’Europe est décidée à garantir sa souveraineté avec le lancement d’une quarantaine de giga factories dont quatre en France.

Les chiffres clés du transport

Chiffre d'affaires du secteur transport et logistique dans le monde

Répartition par mode de transport

Sources : ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires et Eurostat

 

Automatiser certains processus pour optimiser les activités liées au rail, c'est le sujet du moment.
CHRISTOPHE LEMAIRE

Des contraintes écologiques croissantes

Le fret maritime a vu son volume multiplié par quatre depuis le début des années 1990. C’est le secteur qui a le plus profité de la mondialisation des échanges et de ses dynamiques : l’émergence de l’Asie du Sud-est en tant qu’« atelier du monde », la forte hausse démographique des pays en voie de développement, l’urbanisation des populations et l’augmentation de leurs consommations… Des tendances qui ne devraient pas s’inverser avant 2080 et une éventuelle baisse démographique mondiale. Mais ce contexte de croissance est désormais marqué par des contraintes écologiques de plus en plus fortes : l’épuisement des réserves d’énergies fossiles et l’objectif de réduction des gaz à effet de serre. Les ambitions sont désormais claires et chiffrées, que ce soit à l’issue de la COP 28 de Dubaï où dans le portfolio des mesures d’incitations décidées avec le Pacte vert pour l’Europe2.

De plus, au-delà de la question des énergies utilisées, l’effort doit également porter sur l’optimisation du trafic et l’économie des mouvements, et tendre vers un transport plus intelligent et moins coûteux. C’est aussi l’un des grands défis à relever par le fret ferroviaire.

Un fret ferroviaire optimisé

Jusque-là dispensé des contraintes énergétiques grâce à un parc français électrifié à 90 %, et à 77 % pour le parc européen, le rail imagine sa transition du côté de l’optimisation de ses ressources avec le « train digital » ou « train intelligent ». Il ne s’agit pas de l’usage répandu de train autonome, sans conducteur, mais plutôt d’une utilisation et d’un partage d’informations en temps réel. Ainsi, les capteurs IoT (Internet des objets) sont de plus en plus utilisés pour surveiller en temps réel l'état des trains, des voies ferrées et des infrastructures connexes. L’analyse des données permet de détecter les signes de défaillance potentielle et de planifier la maintenance. L’objectif est de réduire les temps d'arrêt imprévus, d'améliorer la sécurité et d’anticiper les opérations connexes. Dans le cadre de son projet « Smart Train », Mercitalia, la filiale fret des transports ferroviaires italiens vient d’annoncer l’équipement de 180 wagons supplémentaires de capteurs de diagnostic. Ces capteurs, qui intègrent les dernières technologies de communication, sont conçus pour collecter une multitude de données pendant le transport, facilitant la surveillance en temps réel des paramètres du train permettant une maintenance prédictive. Ce dispositif permettra d'automatiser divers processus opérationnels et d'optimiser les activités liées au rail, améliorant ainsi les performances globales.

« C’est le sujet du moment », résume Christophe Lemaire, responsable numérique pour le groupe Rail Logistics Europe, qui regroupe toutes les activités de fret et de logistique ferroviaire SNCF depuis 2020. « Avec des GPS installés dans les trains, on peut faire beaucoup de choses : détecter que le wagon roule, vérifier qu’il est là où il devrait être en fonction de ses horaires. Si on voit qu’il est immobile à Marseille alors qu’il devrait s’approcher de Dijon, que fait-on de cette information qui est potentiellement importante pour le client ? S’il dispose de cette information, il va éventuellement pouvoir s’organiser et reporter les moyens qu’il avait prévus à l’arrivée. » La connaissance des flux en temps réel est d’autant plus cruciale que le fret ferroviaire est un exercice complexe à l’échelle européenne. Les trains de fret sont constitués pour une part importante de ce que l’on appelle des wagons isolés. Appelé aussi « train du lotissement », ce système permet de regrouper des marchandises de différents clients et de différentes provenances et de les réunir sur le même train jusqu’au prochain triage où les wagons seront désassemblés et réassemblés pour former d’autres trains. « Sur un long trajet européen, il peut y avoir quatre, cinq, dix opérations de tris successives. Or, comme pour un train de voyageurs, si vous ratez la première correspondance, ensuite tout devient compliqué. D’où la nécessité de disposer du maximum d’informations pour pouvoir s’adapter. » Autre besoin : le partage des informations entre partenaires.

Avec un secteur ouvert à la concurrence depuis 2006, les opérateurs du fret européen tentent de gagner leur part de marché tout en travaillant ensemble. « Si on a un train qui doit faire Perpignan- Hambourg, il y a de grandes chances pour que DB Cargo, la filiale fret de la Deutsche Bahn, prenne en charge le transport une fois la frontière allemande traversée. C’est un concurrent mais aussi un sous-traitant qui a lui aussi besoin d’informations fiables pour pouvoir en partager à son tour. On se doit d’être dans la collaboration et le partage d’un maximum de données », poursuit Christophe Lemaire.

Le transport vélique est pertinent pour les denrées non périssables comme le café ou le cacao.
ALEX CAIZERGUES

Un besoin d’investissements massifs

Le Pacte vert pour l’Europe a fixé l’objectif de 30 % de fret ferroviaire pour le transport de marchandise d’ici 2030. En France, il stagne depuis quelques années autour des 10 %, largement derrière des pays comme l’Autriche, la Suisse ou la Suède. L’objectif paraît donc ambitieux d’autant que le réseau français est saturé selon Christophe Lemaire : « Une journée de départ en vacances, on ne peut pas rouler la journée et la nuit, les voies sont inutilisables à cause des travaux. » Atout majeur de la décarbonation du transport, le secteur a aujourd’hui besoin d’investissements massifs. « Si on veut aménager le contournement de Lyon, c’est 10 milliards d’investissement » prend en exemple Christophe Lemaire.

Des besoins colossaux qui vont devoir également absorber le report modal de la route vers le chemin de fer avec la mise en place des autoroutes ferroviaires. Soit la prise en charge des remorques de poids lourds sur des trains de longue distance (au-delà de 600 kilomètres) ou pour le franchissement de mers ou de massifs montagneux. La France et l’Italie ont par exemple lancé une consultation conjointe pour la mise en place d’une autoroute ferroviaire alpine en 2025. Pour favoriser cette option, la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire prévoit une aide incitative de 15 % pour les chargeurs engagés dans le report modal via les certificats d’économie d’énergie. Si le dispositif n’est pas récent ‒ il date de 2007 ‒, le gouvernement français a décidé son extension pour les autoroutes ferroviaires en novembre 2022, afin de compenser la différence de coût entre le ferroviaire et le routier.

Ralentir

Si les coûts demeurent le nerf de la guerre, la question du temps se pose aussi. Dans un secteur où les délais de livraison sont au coeur des problématiques, certains ont décidé de faire « moins vite pour faire mieux ». L’entreprise Skipper Group, installée dans la Drôme, se présente comme l’inventeur du slow logistique, un concept qui replace l’humain au coeur de la chaîne de livraison. Née avec la crise du Covid et ses conséquences, la philosophie mélange technologie de pointe et idées simples. Par exemple, les navettes de livraison sont équipées d’un double plancher qui permet de charger deux fois plus de palettes et donc de produire moins de CO2. Skipper Group propose aussi un « dernier kilomètre » parcouru à vélo cargo ou en barge maritime. Dans leur profession de foi, les dirigeants restent bien conscients que le slow fret ne peut répondre à tous les besoins, comme la livraison de produits d’urgence tels que les médicaments. Une vision qui rejoint celle d'Alexandre Caizergues, convaincu que ce slow fret dans sa version vélique peut trouver sa voie. « Certaines routes du café sont déjà opérées par des propulsions mixtes avec une part de vélique. C’est pertinent pour des denrées non périssables.

Au-delà du bénéfice environnemental, ça serait quand même très enthousiasmant de savoir que du chocolat ou du whisky ont été transportés par voile. »

Illustrations

Giacomo Bagnara
Giacomo Bagnara vit et travaille en Italie. Il aime explorer les différentes perspectives de la vie quotidienne en remettant en question ses propres perceptions.

Texte

Frédéric Cannes
Frédéric Cannes est un journaliste spécialisé dans
le domaine de l'industrie et de l'économie.

1. Les Échos, 24 mai 2023.
2. L'objectif est, pour l’Europe, de devenir le premier continent neutre en carbone d'ici 2050. La COP 28 le formule différemment en parlant de sortie progressive des énergies fossiles d'ici 2050 mais partage le même objectif.

© Portraits: DR