Frédéric Mazzella, entreprendre pour un monde meilleur
Après avoir révolutionné la mobilité avec BlaBlaCar, Frédéric Mazzella lance une nouvelle forme de philanthropie pour les entreprises. Dift est une plateforme de dons innovante dont l’objectif est de réorienter des millions d’euros vers le financement de la transition écologique et sociale. Un nouveau défi qui incarne la devise du fondateur de BlaBlaCar: trouver des solutions pour rendre le monde meilleur.
Rencontre avec un entrepreneur résolument engagé.
Rien ne prédestinait Frédéric Mazzella à devenir entrepreneur. Diplômé de l’École normale supérieure en physique, il s’orientait vers une carrière scientifique jusqu’à ce que ses études d’informatique à l’université de Stanford aux États-Unis lui ouvrent de nouvelles perspectives. « J’ai découvert l’univers passionnant et créatif des start-up et compris que je pouvais devenir entrepreneur et non suivre les débouchés classiques de ma formation », dit-il.
Intuition et persévérance
En 2003, alors qu’il ne trouve aucune place de train disponible pour rentrer dans sa Vendée natale pour les fêtes de fin d’année, Frédéric Mazzella décide de faire la route avec sa sœur et constate le nombre de places vides dans les voitures sur la route. C’est ainsi qu’est née l’idée du covoiturage. « J’ai vu une opportunité incroyable d’éviter un gâchis d’énergie fossile et de réduire la pollution associée tout en permettant aux usagers de réduire leurs coûts de transport », précise-t-il. Il a ensuite fallu une dizaine d’années à Frédéric Mazzella et aux deux autres cofondateurs de BlaBlaCar – Nicolas Brusson et Francis Nappez – pour transformer cette idée en une plateforme communautaire de covoiturage, devenue aujourd’hui leader dans le monde. Des années complexes pendant lesquelles se sont succédé les phases d’échec, d’apprentissage, de remise en question et de partage d’enseignements… «“Fail, learn, succeed”1 est l’une des valeurs clés de BlaBlaCar, souligne l’entrepreneur. Nous avons expérimenté six modèles économiques avant de trouver celui qui nous permettait de compenser les coûts : un système transactionnel, fondé sur une commission sur les trajets.» Plus fiable et transparent, ce modèle a marqué un tournant décisif dans l’histoire de BlaBlaCar.
Aujourd’hui, BlaBlaCar compte 100 millions d’utilisateurs, dont 80 % hors de France.
Avec à la clé, un impact environnemental fort : une économie annuelle estimée à 2 millions de tonnes de CO2, soit plus que la totalité des émissions de CO2 du trafic routier d’une ville comme Paris. « Cela ne représente que 0,3 % des émissions de la France, mais c’est encourageant car plus BlaBlaCar se déploie, plus les bénéfices pour la société augmentent, tant en termes de réduction d’émissions de CO2 que de lien social, souligne Frédéric Mazzella. C’est ce que l’on appelle “l’impact par design”».
1. Échouer, apprendre, réussir.
3 questions à Frédéric Mazzella
Vous avez récemment lancé Captain Cause (désormais Dift), une société à mission qui fait le lien entre les entreprises et les associations d’intérêt général, en permettant aux premières de diriger leurs budgets marketing (cadeaux, points fidélité) vers des causes sociales et environnementales, tout en impliquant collaborateurs et clients.
D’où vient cette idée ?
J’ai eu un déclic en voyant des jeunes défiler lors de la marche pour le climat avec des panneaux clamant « Quand je serai grand, je voudrais être vivant ». Je me suis demandé comment, en tant qu’entrepreneur, je pouvais contribuer aux enjeux du dérèglement climatique. Beaucoup d’associations réalisent un travail formidable, mais manquent de moyens. Je cherchais un mécanisme pour y remédier, d’où l’idée de faire appel aux entreprises, puissants pourvoyeurs de fonds, qui souhaitent s’aligner avec les attentes de leurs collaborateurs et de leurs clients.
Concrètement, comment fonctionne Dift ?
Dift (contraction de « dons » et de « gift », cadeau en anglais) est un don préfinancé offert par une entreprise à ses clients ou collaborateurs. Les entreprises peuvent préfinancer un montant qu’elles allouent à des projets environnementaux ou sociaux référencés sur notre plateforme. Ce montant est ensuite offert sous forme de « dift » aux salariés, clients, partenaires, qui peuvent choisir à quel projet en faire don.
Dift a-t-il le potentiel de changer le rapport
de la société à la générosité ?
Oui, avec Dift, nous souhaitons dépoussiérer l’image du mécénat. Nous avons créé un modèle vertueux pour toutes les parties prenantes : les entreprises s’engagent plus facilement car nous sécurisons les dons et leur permettons de renforcer la fidélité de leurs communautés. Les associations bénéficient de financements supplémentaires et les participants peuvent soutenir gratuitement leur cause préférée. Comme le dit Victor Hugo, « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu » et je pense que le temps de Dift est venu.
L’impact au cœur du projet entrepreneurial
Après le succès de BlaBlaCar, Frédéric Mazzella aurait pu s’arrêter là. C’est mal le connaître. Car l’homme est avant tout un entrepreneur responsable. Ce qui le motive, c’est d’apporter des solutions aux problématiques environnementales, sociales et sociétales, d’influencer positivement les comportements, afin de créer un futur durable. C’est d’ailleurs, selon lui, LE rôle de l’entrepreneur. Des idées, il en a à foison, mais peu d’entre elles voient le jour. Car au-delà de l’étude de leur pertinence et de leur viabilité, il se concentre uniquement sur les sujets à impact dont personne ne s’occupe. Son nouveau cheval de bataille ? Le manque de moyens financiers des associations qui agissent sur le terrain dans le domaine de l’environnement, de la santé et du social. Un défi majeur auquel il entend s’attaquer avec la plateforme de dons en ligne Captain Cause lancée en 2022 et récemment renommée Dift (voir encadré).
Une approche scientifique et un état d’esprit de chercheur
Pour relever ce nouveau défi, Frédéric Mazzella applique la même recette qu’avec BlaBlaCar : une vision claire, une excellente maîtrise de la technologie, une parfaite capacité d’exécution et une bonne dose de persévérance. Le tout, avec l’état d’esprit scientifique qui le caractérise. « Les mathématiques offrent la vision, la physique le pragmatisme et l’informatique l’exécution, précise-t-il. La combinaison des trois me permet d’imaginer de manière rationnelle les sujets et d’évaluer rapidement leur faisabilité. Avec BlaBlaCar comme avec Dift, j’ai vite compris qu’il n’y avait pas d’obstacle technologique. Le seul frein, c’est le changement de mentalité, de culture, d’usage. Je pense qu’on peut changer la société en lui donnant envie de faire le bien, pas en la moralisant. » Un mouvement déjà en marche en France sous l’impulsion notamment d’entrepreneurs à impact comme Yuka, Back Market, Doctolib, TooGoodToGo et bien sûr BlaBlaCar.
Parcours de Frédéric Mazzella en 8 dates
1997-2001
Diplômé d’un master en physique de l’École normale supérieure, titulaire d’un master en Informatique de Stanford University (États-Unis)
1999-2002
Chercheur scientifique pour la NASA aux États-Unis et NTT au Japon
2007
MBA de l’INSEAD
2006-2016
Début de l’aventure BlaBlaCar puis transmission de la direction générale de BlaBlaCar à Nicolas Brusson en 2016 (Frédéric reste président fondateur du conseil d’administration)
Depuis 2018
Cofondateur et coprésident de France Digitale
Depuis 2020
Président et cofondateur de Dift (ex-Captain Cause)
Depuis 2022
Animateur du talk-show « Les Pionniers » sur BFM Business
Depuis 2023
Membre du conseil d’administration de l’INSEAD
Texte
Stéphanie Livingstone-Wallace
Conceptrice-rédactrice free-lance depuis plus de 15 ans,
Stéphanie Livingstone-Wallace assure la rédaction de multiples supports de communication,
avec comme domaines de prédilection la transition énergétique,
le transport et la logistique, l’éducation ou encore la finance et la santé.